Hommage des éléphants
Des éléphants ont-ils vraiment rendu un hommage posthume à Lawrence Anthony, un défenseur des animaux qui leur a dédié une réserve ? Attention, un éléphant ça trompe énormément !
L'histoire fait le tour aussi bien des messageries que de la blogosphère et des réseaux sociaux : deux jours après la mort à Johannesburg de Lawrence Anthony, un défenseur des éléphants bien connu, un troupeau de pachydermes de sa réserve de Thula Thula aurait défilé devant sa demeure pour lui rendre hommage...
Fabuleux récit ou affabulation ?
Visite des éléphants après la mort d'Anthony ? Peut-être...
La presse n'est pas très loquace sur le sujet, puisque le seul article de journal à évoquer l'histoire est celui du Daily Telegraph dont la prudence est de rigueur : "il a été rapporté qu'après sa mort son troupeau d'éléphants préféré est venu jusqu'à sa maison pour lui dire au revoir".
Ce fait est également mentionné sur le Wikipedia anglophone mais la source citée est une brève de blog... [No comment !]
Pourtant, sa veuve Françoise Malby-Anthony, jointe par Hoaxbuster, a été catégorique : "ce n'est pas un canular, c'est exactement ce qui est arrivé." Et elle a même ajouté que les éléphants "sont tous revenus un an plus tard pour la cérémonie du souvenir".
Procession d'éléphants = dernier hommage ?
Mais la veuve n'est pas vraiment un témoin neutre, ne serait-ce que parce que ce type de rumeur est susceptible de faire une bonne publicité à sa réserve. Suite à son premier courrier, elle n'a d'ailleurs pas daigné répondre aux nombreuses interrogations dont nous lui avons fait part. Ses affirmations sont sans doute de bonne foi mais ses certitudes sont grandes et susceptibles d'altérer la perception de la relation que son mari entretenait avec les pachydermes. Suite à une période de deuil, ces certitudes peuvent tenir lieu de béquille psychologique, aussi faut-il être prudent avec ce témoignage.
Et à supposer que la procession qu'elle évoque ait vraiment eu lieu, faut-il nécessairement l'interpréter comme un dernier hommage ? N'y a-t-il réellement, comme elle le prétend, "aucune explication scientifique à cet événement", lequel serait donc fatalement une preuve de plus du "lien exceptionnel" que Lawrence Anthony entretenait avec ses éléphants ?
Nous allons développer plusieurs argumentations afin de faire prendre conscience qu'il existe peut-être des raisons bien moins sophistiquées que celles narrées dans le message en circulation pour expliquer la présence de pachydermes sur le lieu d'habitation de feu-Lawrence Anthony.
Télépathie sur 600 km...
Anthony n'est pas mort dans la réserve mais à Johannesburg !
Comment les éléphants auraient-ils pu être informés d'une mort survenue à plus de 600 kilomètres de chez eux, même en 2 jours ?
Les éléphants sont sensibles à la mort : principalement faux !
Tout d'abord, les éléphants ne sont pas aussi sensibles à la mort que le message le sous-entend : comme l'ont montré Karen McComb, Lucy Baker et Cynthia Moss en 2006, même s'ils font preuve d'un intérêt particulier pour les ossements de leurs congénères, ils ne font pas la distinction entre les os de leurs proches et d'autres ossements, et n'entretiennent bien sûr aucun cimetière - le mythe du cimetière des éléphants pourrait être né de l'entassement d'os par des braconniers. Toujours est-il que s'ils ne font aucun cas des ossements humains, il y a peu de chance pour qu'ils soient troublés par la mort d'un homme, si attentionné soit-il...
Lawrence Anthony était adoré des éléphants : faux !
De son vivant, Lawrence Anthony n'était pas idolâtré des éléphants comme le message le prétend. Pour preuve, il s'est fait agresser par l'un d'eux en août 2007, comme le rapportent aussi bien News24 que le site de Cynthia Moss.
Corrélation, causalité, apophénie et anthropomorphisme
Ce n'est pas parce que deux événements se succèdent qu'ils sont forcément liés par une relation de causalité, ou sinon il faudrait en conclure que le chant des coqs fait se lever le soleil... Il s'agit là d'un biais de raisonnement que les zététiciens nomment l'effet-atchoum et qui relève plus généralement de la tendance générale de l'esprit humain à voir des liens là où il n'y en a pas ; ce phénomène est également nommé apophénie. A quoi s'ajoute dans le cas présent la tendance bien connue de l'être humain à interpréter le comportement des autres animaux en fonction du sien, "l'anthropomorphisme", et de croire par exemple que les animaux peuvent partager la peine humaine.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Y a-t-il alors une explication plus simple, ne nécessitant pas le recours à un hypothétique pouvoir médiumnique des éléphants ? Ne peut-on vraiment pas appliquer le rasoir d'Occam dans ce cas et se passer d'une supposition aussi alambiquée ? Cette procession des éléphants ne relève-elle pas plutôt de l'ordinaire pour un spécialiste ?
La réponse est oui, bien entendu. Les éléphants se déplacent fréquemment en file indienne, surtout s'ils ont été habitués à l'homme ! Mais même les éléphants sauvages adoptent cette formation, notamment en cas de migration.
Or les 20 éléphants (et pas 31, comme le dit à tort le message) que compte la réserve de Thula Thula ne peuvent justement pas être tenus pour sauvages, en raison même de ces liens particuliers qu'ils ont entretenus avec les humains qui se sont occupés d'eux, et avec lesquels ils se sont familiarisés.
Est-il rare de croiser un éléphant dans une réserve minuscule ?
Qui plus est, la réserve de Thula Thula est petite - 15 kilomètres carrés, soit à peu près le territoire minimum requis pour un troupeau d'éléphants - et tout en longueur, ce qui multiplie forcément les chances d'un passage devant les habitations humaines, surtout si celles-ci sont à proximité d'une source de nourriture.
La conclusion qui s'impose est donc que les éléphants ont donc très bien pu passer là par hasard et l'imagination humaine a fait le reste. Notre cerveau est ainsi fait qu'il retient plus facilement ce qui nous conforte dans nos certitudes, ce qui nous arrange de croire...
Toutes proportions gardées, l'histoire rappelle par certains côtés celle que contait Maupassant dans sa nouvelle Magnétisme : un fils de pêcheur rêve toutes les nuits que son père périt en mer ; le jour où cela se produit vraiment, tout le monde se persuade qu'il a fait un rêve prémonitoire...
hoaxbuster
Rédacteur Hoax