Vol d'organes
Un réseau Roumain de trafic d'organes écumerait les quartiers de Marseille ou comment remettre au goût du jour une vieille légende urbaine.
Cette rumeur pourrait prêter à sourire si elle n'avait eu de conséquences dramatiques dans le sud de la France.
Une femme disparaît
Le message circule par email mais aussi par SMS, particulièrement chez les jeunes de la banlieue nord de Marseille. La version actuelle semble avoir vu le jour suite à une affaire tragique de disparition : celle de Fatima Saiah.
La famille de la victime est la première à déplorer ce phénomène qui vient parasiter l'enquête de police et envenimer une situation qui n'en a nul besoin. C'est à se demander s'il n'est pas dans les gènes de la capitale phocéenne de cultiver cette exagération légendaire car les proches de Fatima ont reçu de nombreux témoignages tous plus farfelus les uns que les autres ! Le bouche-à-oreille fait son office et pour bon nombre, la légende urbaine devient réalité.
L'affaire fait grand bruit et dans un inconscient collectif - une inconscience collective ? - on se met à penser au pire ! De la Canebière jusqu'aux quartiers nord, à force de se monter le bourrichon, le peuple réclame un coupable.
Et pourquoi pas les Roumains, les Gitans ? Ils enlèvent les enfants, c'est bien connu !
Tous les chemins mènent aux Roms
Les légendes urbaines ont la vie dure et celle des Tsiganes voleurs d'enfants n'échappe pas à la règle... Alors à Marseille, on se met à voir des Roumains suspects partout !
Mais dans quel but ? Pourquoi enlèverait-on une jeune femme ?
Mais pour ses organes internes, peuchère... Au marché noir, cela doit valoir une fortune ! Et là, on imagine bien la scène sur un marché du vieux port où un marchand harangue la foule en scandant "foie, viscères, promo spéciale : deux reins pour le prix d'un" !
Fausses accusations pour vraies agressions
Toujours est-il que l'émotion a gagné la ville et que pour certains, il n'est plus question de raisonner avec discernement.
La police est alors amenée à intervenir deux fois en quelques jours pour extraire de malheureux Roumains d'un lynchage organisé.
Non, il ne faut pas relayer les rumeurs !
C'est le leitmotiv de HoaxBuster.com et on est confronté ici à un exemple type des conséquences tragiques que peut entraîner la diffusion en masse d'une information douteuse.
L'origine de la légende
Dans les années 90, une rumeur s'est propagée outre-atlantique : "un voyageur boit quelques verres avec un étranger puis se réveille le lendemain matin dans une baignoire pleine de glace avec un rein en moins".
Cette légende a connu son apogée en 1997 à La Nouvelle-Orléans lors des festivités de Mardi Gras, créant la psychose. Elle s'est ensuite internationalisée en variante d'un touriste en Turquie ou au Brésil que l'on retrouve hagard dans la rue, une large cicatrice sur le côté.
La technologie s'est combinée au succès et en 2005, nous vous faisions part de ce hoax circulant par email sur le rapt d'enfants dans les supermarchés Ikea. Avec du recul, on s'aperçoit qu'il comporte tous les ingrédients de l'inconscient collectif sur la légende des Tsiganes voleurs d'enfants - avec l'enlèvement et le déguisement de la victime.
Une rumeur réaliste ?
Dans une vision simpliste faisant abstraction de toute contrainte, il peut paraître plausible qu'une mafia puisse se lancer dans le trafic d'organes.
Et pourtant, en y regardant de plus près, il apparaît que la mise en oeuvre s'avère autrement plus complexe :
- Nécessité de disposer d'un réseau logistique important pour les enlèvements,
- Implication d'un chirurgien qualifié - qui est un médecin ayant prêté serment - et d'une clinique adéquate.
- Dans la version originale, pourquoi se donner la peine de laisser en vie un témoin gênant en le recousant proprement ?
- Et le plus délicat, avoir une clientèle pour les produits or :
- Un donneur n'est pas forcément compatible avec un patient, raison pour laquelle on recherche dans un fichier de donneur ou chez un membre de la famille l'individu qui satisferait les critères de compatibilité.
- Il faudrait donc avoir un stock très important d'organes pour pouvoir répondre à la demande (or réaliser le prélèvement de masse et la conservation des organes sans appui politique paraît improbable),
- Ou alors qu'un VIP ait accès à une base de données de donneurs potentiels et qu'il mette un "contrat" sur une personne identifiée (scénario digne d'un bon film de science-fiction)...
Actualité mondiale
Il faut cependant bien avouer que le trafic d'organes existe bel et bien et qu'il peut atteindre une grande envergure dans certaines parties du monde. Si les pays occidentaux ne semblent pas concernés, il n'en est pas de même pour certains pays dits en voie de développement.
Selon l'ADOT (Associations pour le Don d'Organes et de Tissus humains), certains pays auraient des pratiques sujettes à caution, notamment :
- L'Iran qui rémunère officiellement les donneurs d'organe.
- Les Philippines, La Mecque du tourisme de transplantation.
- La Chine qui reconnaît que la majorité des organes greffés proviennent de condamnés à mort.
Le dénominateur commun entre ces nations est qu'une large partie de la population vit sous le seuil de pauvreté. La tentation de vendre une partie de soi pour quelques années de salaire peut alors être grande lorsqu’on est écrasé par la misère.
Mais tous les gouvernements ne ferment pas les yeux et en Inde, par exemple, un vaste trafic de reins a été démantelé près de Delhi début 2008. Le Pakistan, la Colombie et l'Egypte semblent également souhaiter un encadrement des transplantations.
Aux Etats-Unis, certains voudraient mettre en place "un système régulé de paiement des donneurs de reins". A contrario, en France, on estime que :
- il vaut mieux "privilégier les prélèvements sur les personnes décédées",
- il ne faut pas "transformer une partie de son corps en marchandise",
- il existe un risque pour la santé du donneur et que pour un don de son vivant, la seule exception devrait être le cas d’un parent pour son enfant.
La fin et les moyens
A la réception d'un tel message il convient d'être très prudent, de ne pas agir sur le coup de l'émotion, d'utiliser son sens critique et de ne surtout pas tomber dans la xénophobie de bas étage.
Quand bien même l'affaire serait avérée, les médias traditionnels ne sont-il pas mieux taillés pour tenir le plus grand nombre informé avec des flashs actualisés et plans d'alerte (Amber par exemple) ? Un email est si rapidement obsolète, si facilement modifiable et si souvent... faux !
Alors peut-on encore se dire que dans le doute il vaut mieux faire suivre une alerte quand le résultat est le lynchage de plusieurs personnes ?
Sources :
- Blog sur Fatima Saiah
- La Provence, 20 minutes
- Urbanlegends
- Bohémiens voleurs d'enfants
- Démenti de la rumeur
- Tourisme de transplantation (ADOT)
- Trafic de reins à Delhi
Article réalisé avec l'aimable participation de Cécile.
hoaxbuster
Rédacteur Hoax