Justice : le Pacte 2012
La Justice française inefficace dans l'affaire Censier ? Quand l'émotion vient paralyser la raison, il convient de faire appel à un spécialiste juridique pour démêler le vrai du faux.
Difficile de ne pas partager la douleur de ce père qui a perdu son enfant. Qui plus est dans des circonstances aussi atroces : roué de coups par une bande de jeunes et poignardé à mort.
Alors nous culpabilisons avec lui lorsqu'il affirme que son métier est la cause du drame : tué car il est "fils de flic" et comme lui, nous sommes très en colère contre la Justice qui a laissé sortir le meurtrier présumé de prison.
Emotion virale
Il est vrai que le témoignage de Joël Censier, le père de Jérémy, prend les tripes et nous donne envie de réagir violemment.
Comment pourrait-on être en désaccord avec lui ? Comment peut-on ne pas se révolter face à tant d'injustice ?
Raison paralysée
Et pourtant, la méthode déjà est sujette à caution : l'usage d'une vidéo virale appelant au transfert.
Comme toujours avec ce genre d'email, il convient d'être prudent. Alors pour éviter les conclusions hâtives, le mieux est de se renseigner avant de faire suivre le message en l'état. La vision de l'affaire est unilatérale et l'on peut raisonnablement douter que la Justice française fonctionne aussi mal que cela...
Pour ce faire, il convient de savoir ce qui relève de l'intox. Et l'exercice a justement été effectué par un avocat : Maître Eolas, un blogueur connu et respecté dans le milieu juridique et médiatique.
Manipulation des faits
Son analyse est sans appel, le titre de son article étant : "Attention manip" !
Il explique que tout dans la vidéo est affaire de rhétorique émotionnelle et déplore le manque d'arguments et de faits. Et les reproches de l'avocat sont détaillés, que ce soit sur le plan juridique mais aussi philosophique car il met en lumière bon nombre de sophismes (biais de raisonnement) utilisés dans la vidéo. Une démarche zététique que HoaxBuster ne pouvait que saluer.
Il est vivement conseillé de lire le billet de l'avocat en entier, publication qui n'a pas vocation d'être à charge contre Joël Censier mais simplement de recenser les inexactitudes et rétablir la vérité.
Alors non, il n'y a pas eu de dysfonctionnement. Même s'il est vrai qu'un récent texte de loi a permis la remise en liberté du présumé meurtrier, il faut savoir qu'il a été placé sous contrôle judiciaire et qu'il sera bien jugé pour homicide volontaire ! Quant aux autres personnes incriminées, 5 d'entre elles comparaîtront également pour violences en réunion.
Récupération politique
Maître Eolas dénonce surtout la récupération politique de l'affaire par l'Institut pour la Justice (IPJ), une association loi 1901 (!) se revendiquant apolitique et indépendante mais qui dans les faits est très à droite. Mettre en avant la douleur des victimes est la technique de l'association pour attirer l'attention et tenter un lobbying politique en prônant une répression forte. Ses motivations sont résumées dans un "pacte 2012" qu'elle souhaite voir ratifié par tous les candidats à l'élection présidentielle.
Quelle relation ?
Etonnant de la part de l'IPJ de s'appuyer sur le cas Jérémy Censier pour promouvoir un durcissement des peines alors que l'affaire n'a pas encore été jugée et que donc aucune peine n'a encore été prononcée.
Contradiction
Bizarrement, ce "pacte 2012" connaît un franc succès alors que le contexte ne s'y prête pas vraiment. En effet, depuis 2005 et l'accession de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, jamais autant de lois répressives n'ont été votées. Nos parlementaires seraient-il victimes d'une épidémie de légiférationite aigüe ?
On peut pourtant sérieusement se poser la question de l'efficacité de légiférer à tour de bras.
Conclusion
Certes, on peut comprendre la position de ce père car la Justice peut paraître inhumaine. On y traite des affaires et des dossiers... Mais un certain détachement n'est-il pas nécessaire pour pouvoir juger en toute impartialité ? En s'impliquant trop émotionnellement, en n'accordant pas toute son importance à la "présomption d'innocence", ne risque-t-on pas de mener tout le monde à la chaise électrique ?
Il est fortement recommandé à tous ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette affaire de lire le billet de Maître Eolas intégralement avant de signer la pétition. S'engager ne doit pas se faire sur un coup de tête et doit surtout être fait en pleine connaissance de cause. Or la vidéo sur laquelle l'IPJ nous demande de réagir contient d'importantes omissions et inexactitudes.
Alors attention au militantisme en pantoufles (slacktivism en anglais)... Surtout quand cela donne du crédit à une association au dessein aussi controversé.
Info de dernière minute
Une nouvelle affaire prend le devant de la scène : la tragique disparition d'Agnès, 13 ans, violée et tuée par un adolescent de 17 ans récidiviste. Cette fois-ci, la réaction du gouvernement n'a pas traîné en promulguant un amendement législatif dès mercredi !
Comme quoi, en République, des actions peuvent rapidement être mises en œuvre lorsqu'il y a soupçon de dysfonctionnement.
Mais avec les élections présidentielles approchant, on peut malheureusement craindre une déferlante de faits divers dramatiques sur tous nos médias... Ce qui, à ce train-là, risque de sérieusement compliquer notre code pénal !
Sources :
- Journal d'un avocat, blog de Maître Eolas
- SudOuest.fr, article du 15 novembre
- Le pacte 2012 de l'IPJ
hoaxbuster
Rédacteur Hoax